Dans la pratique de la facilitation graphique, en tant que professionnel(le)s, nous nous efforçons de capturer l’essence d’idées complexes et les échanges au sein d’un groupe. Il devient désormais essentiel de le faire d’une manière qui respecte et valorise la diversité humaine.
Face à cette tâche colossale, je me retrouve souvent à jongler entre l’intention d’inclure et la réalité pratique du métier. Dans le feu de l’action, lors des prestations de scribing, le temps presse et la simplicité devient mon alliée. C’est ainsi que naît une pratique courante : l’utilisation de personnages asexués et non colorés, qui servent d’“avatars” universels sur mes supports majoritairement réalisés sur papier blanc. Pourtant, cette approche minimaliste soulève une question fondamentale : comment m’assurer que mes choix (techniques, filtre de l’information) reflètent toujours la richesse et la diversité du public et des idées que je capture ? Quels biais ai-je introduits consciemment et inconsciemment ?
La diversité englobe des dimensions variées telles que l’ethnie, la culture, le genre, l’orientation sexuelle, et bien plus encore. Chaque personne devrait pouvoir se reconnaître dans la multitude des visages, des corps, et des histoires que nous représentons. Mais comment représenter chaque individualité avec respect et exactitude alors que le monde est multiple par essence ? Comment reconnaître nos biais professionnels et personnels, ces préjugés qui influencent notre manière de percevoir et de représenter des individus, des groupes ? Qu’aurais-je pu/dû faire pour éviter qu’une personne vienne me voir et fasse sentir qu’elle voit un stéréotype sur ma planche là où mon intention a toujours été d’être dans la représentation fidèle.
Cet article se penche sur cette dualité, explorant comment je tente de naviguer entre l’aspiration à l’inclusion et les contraintes de notre pratique visuelle.
La réalité du scribing : faire vite ET juste
Lorsque je suis en séance de scribing, chaque seconde compte. Dessiner des personnages détaillés avec des attributs ethniques ou culturels précis peut non seulement être chronophage mais peut aussi risquer de mettre involontairement en avant une population plutôt qu’une autre. Alors pour rester neutre et efficace, j’opte souvent pour des représentations schématiques. Ces bonshommes simples sans visage, sans attribut, visent à offrir une projection pour toutes et tous, sans distinction.
En tant que facilitateur(trice) graphique, il est crucial de comprendre que nos dessins et nos visuels naissent de contraintes intrinsèquement liées au temps, au format, et à l’interprétation. Ces limites peuvent parfois nous empêcher d’envisager, de penser et de capturer pleinement la diversité et la complexité des identités humaines dans notre travail. Voici quelques points pour expliquer cette idée :
1. Contraintes de temps et de simplicité : en scribing, par exemple, l’objectif est souvent de capturer l’essence d’une discussion/d’un propos en temps réel, ce qui nécessite rapidité et efficacité. Pour rester pragmatique, j’utilise des personnages simplifiés qui peuvent ne pas refléter la diversité dans toute sa richesse
2. Neutralité visuelle : la décision d’utiliser des personnages asexués et non colorés est une approche visant à ne pas favoriser une identité ou une culture spécifique. Mais cette neutralité peut aussi être vue comme une limitation, car elle ne reflète pas explicitement la diversité des identités
3. Interprétation subjective : les visuels sont interprétés à travers le prisme des expériences personnelles de chacun(e). Ce qui est conçu pour être un avatar “universel” peut ne pas être perçu comme tel par tout le monde, ce qui souligne les limites de notre capacité à représenter toutes les identités de manière égale
Quelques pistes pour représenter la diversité
Alors comment surmonter ces limitations ? Voici quelques pistes pour développer sa pratique vers plus de représentativités visuelles :
- Illustrer des scénarios variés : des scènes de collaboration qui impliquent des personnages de différentes professions et âges, sans forcément se concentrer sur des attributs physiques, pour montrer l’importance de la diversité des expériences et des compétences
- Utiliser des symboles et des éléments culturels : ajouter des éléments ou des symboles culturels spécifique à des silhouettes basiques (comme des drapeaux, des coiffes variées, des chapeaux, des monuments, ou des fêtes traditionnelles) pour enrichir la représentation
- Tester des palettes de couleurs inclusives : choisir consciemment une palette de couleurs qui représente une gamme de tons de peau, même si les visages ou les mains sont dessinés de manière simplifiée, peut être une manière subtile mais significative d’inclure la diversité. Sur support numérique, cette contrainte est plus facile à traiter qu’avec des feutres
- Rester informé(e) : se tenir au courant des discussions autour de la diversité, de l’inclusion et de l’équité pour s’assurer que les représentations sont à jour et évitent les clichés
- Écouter et s’adapter : être attentif(ve) aux retours du public et prêt(e) à ajuster ses méthodes en fonction de leurs besoins et perspectives. Lorsque le contexte le permet, engager le dialogue avec les participant(e)s pour comprendre leurs points de vue et intégrer leurs retours dans notre travail. Cela peut aider à garantir que notre représentation est aussi inclusive et significative que possible.
Reconnaître et contrer ses biais
L’enjeu est aussi de pratiquer la réflexivité. Autrement dit de prendre le temps de réfléchir après chaque session sur les choix de représentation effectués, être ouvert(e) aux critiques, se demander si nos choix ont été influencés par des biais. En d’autres termes, prendre un peu de recul pour déterminer comment mieux représenter la diversité et améliorer sa pratique pour la prochaine fois.
La pratique de la facilitation graphique nécessite une réflexion constante sur nos propres préjugés pour comprendre comment ces biais peuvent influencer notre travail. Encore faut-il pouvoir en prendre conscience et les identifier. Voici quelques pistes pour les reconnaître et les contrer.
1. Biais de confirmation
Il s’agit de la tendance à favoriser, rechercher, interpréter et mémoriser les informations de manière à confirmer nos croyances ou hypothèses préexistantes.
- Par exemple : un facilitateur graphique pourrait inconsciemment donner plus d’importance et de visibilité aux idées ou aux contributions des personnes qui reflètent ses propres points de vues ou expériences, au détriment d’autres perspectives.
2. Biais de stéréotypes culturels
Ce sont les idées préconçues sur certaines cultures ou groupes ethniques qui sont souvent simplistes et ne reflètent pas la complexité réelle des individus.
- Par exemple : Lors de la représentation de personnes de différentes origines, un facilitateur graphique pourrait s’appuyer sur des stéréotypes visuels (comme des vêtements ou des coiffures spécifiques) pour signaler l’ethnicité, ce qui peut renforcer les clichés plutôt que de promouvoir la diversité.
3. Biais de similarité
Il s’agit de la préférence inconsciente pour les personnes qui nous ressemblent en termes d’origine, de valeurs, d’expériences, etc.
- Par exemple : Cela peut se traduire par une tendance à mettre en avant des personnages ou des scénarios qui reflètent l’expérience personnelle du facilitateur graphique, minimisant ou négligeant les expériences qui lui sont étrangères.
4. Biais de genre
Préjugés en faveur d’un genre par rapport à l’autre, souvent basés sur des notions traditionnelles des rôles de genre.
- Par exemple : Attribuer inconsciemment des rôles ou des activités spécifiques à des personnages selon leur genre dans les illustrations, comme représenter des hommes en positions d’autorité et des femmes dans des rôles de soutien.
5. Biais de visibilité
C’est lorsqu’on a tendance à se concentrer sur ce qui est immédiatement visible ou ce qui attire le plus l’attention, au détriment d’autres informations ou perspectives.
- Par exemple : Mettre l’accent sur les contributions des personnes les plus bavardes ou visibles dans une session, sans chercher activement à inclure les voix plus silencieuses ou marginales.
La quête de l'inclusion
Le but de cette réflexion sur la représentation visuelle de la diversité est de pousser les limites de la représentation traditionnelle pour créer des planches où chacun(e) peut se sentir vu(e) et inclus(es). Je considère que mon parcours vers une pratique plus inclusive est ponctué de compromis, d’apprentissages et de remises en question constantes. Je n’ai pas toutes les réponses, et mes pas dans cette quête ne sont ni parfaits ni exempts d’erreurs.
Pour la rédaction de cet article, mes recherches m’ont mené principalement vers des ressources anglophones qui explorent ce sujet sous différents points de vues avec parfois des exemples issus de projets réels. Et c’est dans cet esprit d’apprentissage continu et de partage que je vous invite à découvrir leurs réflexions.
Ressources à découvrir
- Your Face here, creating illustration guidelines for more inclusive visual identity, Case study, Jennifer Hom, Airbnb Design
- LGBTQ+, Guide pour une narration visuelle inclusive, conseils pour améliorer la représentation visuelle, gettyimages et glaad
- Visualising inclusiveness and diversity, Eva Lotta, 2020
- You can’t just draw purple people and call it diversity, Meg Robichaud (2018)
- How Visual Practitioners Listen for Diversity: tips from the field (long form), Sam Bradd de Drawing Change 2017
- Easy ways to show more diversity in your sketches, Ben Crothers de Prestosketching (2018)
- Diversity: Drawing people in Sketchnotes, Nadine Roßa de Sketchnote love, 2018
- Graphic facilitators supporting Indigenous Cultural Safety – Sharing wisdom from talking circles at Drawing Change workshops (2017-2019) – IFPV
Je recommande également cet article d’Hélène Pouille sur la question de la catégorisation sociale. Elle propose des pistes pour favoriser l’inclusion en dépassant l’âgisme, les préjugés de genre, et les vulnérabilités sociales de manière générale.
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