Etat des lieux et perspectives pour l’Agilité

📖 Sommaire

Le coaching agile traverse une période charnière (2023-2025), marquée par une transformation significative du marché. Cet article s’adresse en priorité à mes confrères et consœurs professionnel(le)s de l’Agilité. Après avoir échangé avec et écouté plusieurs d’entre nous, j’apporte mon point de vue sur ce que nous avons fait et quelques réflexions pour la suite. 

 

S’il vous fait réagir, partagez votre avis en commentaire ou contactez-moi à romain@supertilt.fr pour qu’on échange ensemble.

Une mutation profonde du marché

Pendant la période 2009-2018, l’Agilité se déployait doucement mais sûrement, relayée par des communautés locales (en France et dans le monde) très actives et commençait à pénétrer les DSI des grands comptes.

Le symbole de cette réussite est Renault Digital. DSI pionnière dans l’Agilité à travailler avec des “armées de coachs agiles”. Renault Digital symbolise aussi pour moi le passage d’une recherche qualitative à une logique de consommation de masse du coaching agile. (D’autres grands comptes étaient sans doute dans la même démarche mais sans doute moins visible de ma fenêtre). À cette époque, le marché était extrêmement demandeur, mais l’offre d’accompagnement agile était largement insuffisante.

Et puis l’histoire s’est arrêtée chez Renault Digital, de nombreux coachs agiles ont été remerciés (fin 2018 ou fin 2019, les intéressé(e)s me corrigeront). C’est sans doute le premier signal faible du changement que nous vivons aujourd’hui, le marqueur d’un tournant décisif sur le regard porté sur notre métier.

Aujourd’hui (2025), les signaux sont sans équivoques : l’Agilité est déclarée comme morte un peu partout par des professionnels affolés de ne plus avoir de missions. Il est vrai que les prestations agiles sont tellement dévaluées que cela semble désormais être un état de fait.

J’observe sur les réseaux sociaux :

  • Des critiques toujours plus vives (et justifiées) sur de mauvaises expériences agiles vécues. Même si tout porte à croire que nous sommes revenus à l’avant agile (quand j’étais chef de projet en société de services de 2008 à 2011)
  • Des TJM (Taux Journalier Moyen) qui s’écroulent. Le marché voit des missions proposées à 500€ par jour (ou moins) avec des clients en attentes de compétences toujours plus élevées sur nos capacités à transformer des organisations. L’Agilité est un moyen et plus une fin en soi (l’a-t-elle été d’ailleurs ?)
  • Des critiques de plus en plus vives des agilistes envers les soi-disant “mauvais agilistes”. Ce côté donneur de leçons nous dessert et qui n’est pas en phase avec les valeurs que nous portont en théorie

Comment l’Agilité pourrait-elle être morte avec un marché qui a vu depuis des années des arrivées massives de sociétés de services (historiquement éloignées de l’Agilité et des communautés) et une quasi-omniprésence des certifications ? Comment nous sommes-nous enfermés dans ce débat d’entre soi, alors que les clients eux ont toujours les mêmes problèmes et sont loin de tout ça ? Comment en sommes-nous arrivés à faire la morale là où nous prônons le respect ? Sommes-nous si agiles que nous le proclamons ? Comment avons-nous passé tant d’années à transformer les organisations pour avoir un retour si négatif aujourd’hui ?

L'échec des rétrospectives : l’emblème de la crise des pratiques agiles

J’aurais aussi pu prendre le daily meeting en exemple, peu importe. Les rituels agiles, popularisés principalement par Scrum ont particulièrement souffert au cours de toutes ces transformations agiles. Dans le cas des rétrospectives, soyons clairs : leur mise en œuvre actuelle est catastrophique.

Théoriquement, avec des années de pratique et des milliers de rétrospectives réalisées à travers toutes ces DSI et ces services informatiques (et parfois au-delà), les équipes devraient avoir vécu des améliorations continues majeures. Nous aurions dû assister à des améliorations massives et sans précédent dans le monde de l’IT ! Il n’en est rien. Pire, certaines équipes ne croient plus en leur utilité.

Les gens ne parlent plus des rétro, ça ne sert à rien, il n’y a pas d’actions derrière, il n’y a rien qui est mis en place, ce sont toujours les mêmes problèmes.” Un exemple de verbatim trop souvent entendu et qui d’un côté me fend le cœur et de l’autre s’explique facilement. Comment ne pas comprendre ces gens qui veulent arrêter de faire un exercice qui ne leur apporte rien et qui ne répond pas à leur besoin ?!

La dérive (?) du soft skills coaching

Face à ces défis, de nombreux coachs agiles se sont tournés vers des parcours de coaching (comprendre coaching en soft skills). 

J’en connais beaucoup et je suis (sincèrement) admiratif du parcours qu’ils et elles ont fait pour obtenir leur certification en coaching (En ce qui me concerne, je me suis formé avec Véronique Messager juste pendant 2 jours lorsqu’elle proposait son parcours de formation coach agile et j’ai continué les pratiques narratives et l’approche systémique).

Cette approche de coaching, bien qu’intéressante, puissante, et inspirante, montre rapidement ses limites dans les équipes techniques (et métier). Plus particulièrement la “posture basse” du coach qui pose plus de questions qu’il n’apporte de réponses et qui finit par lasser les équipes qui attendent des solutions concrètes à leurs problèmes quotidiens. Le/la Scrum Master pâtit encore de cette image.

Je ne crois pas que nos clients paient pour des gens qui ne font que poser des questions. Ils veulent aussi de l’action, du concret et donc des résultats.

Le paradoxe de l'accompagnement long terme

La question du temps d’accompagnement a toujours été présente dans mon esprit depuis que j’ai commencé en 2012. Elle constitue selon moi une des problématiques fondamentales de notre positionnement. Comment justifier des interventions à temps plein sur des périodes de 5-6 mois ou plus ?

Nous voyons bien que les changements organisationnels nécessitent du temps. Comment notre accompagnement peut-il alors être à la fois constant (= quotidien) et respecter le rythme d’assimilation par les personnes que nous accompagnons et les organisations ? Ne sommes-nous pas face à un paradoxe que nous avons nous-même créé ? 

Les entreprises, de plus en plus attentives à leur retour sur investissement, questionnent légitimement la valeur ajoutée d’une présence permanente et elles ont raison.

La transformation des rôles agiles

Le Product Owner : de stratège à gestionnaire

Le rôle de Product Owner a particulièrement souffert toutes ces années. Initialement conçu comme un rôle pivot et stratégique, il s’est progressivement vu cantonné à une fonction de gestionnaire de backlog. L’émergence de la discipline “Product Management” a encore complexifié la situation.

 

Bien que le Product Owner ait toujours été, dans l’esprit, un Product Manager, il lui manque souvent des leviers et de l’autorité nécessaires pour exercer pleinement ce rôle. Au final, il y a eu beaucoup de renommages de rôles vers des libellés plus agiles. Cela nous montre tout simplement que certaines organisations rejettent les évolutions de postes proposées par les frameworks agiles. Alors pourquoi persister dans cette voie ?

Le Scrum Master en péril

Toujours incompris, le rôle de Scrum Master est aujourd’hui fortement décrédibilisé dans la plupart des organisations. Considéré comme “non productif” dans une société obsédée par la productivité immédiate, ce rôle est aujourd’hui difficile à faire vivre et à justifier.

Certaines entreprises refusent même catégoriquement d’en avoir, préférant surcharger leurs Product Owners avec ces responsabilités supplémentaires (gestion de produit + gestion de dynamique d’équipe). Les softs skills attendues pour ce rôle (cf. coaching) sont aussi déterminantes et très éloignées des compétences techniques historiquement acquises par nombre de Scrum Master. Quant à celles et ceux qui n’avaient pas de bagage informatique et qui sont arrivé(e)s face à des équipes tech, ils(elles) doivent souvent créer leur légitimité, quel courage face à tant de non-reconnaissance !

Cette situation reflète une incompréhension totale de (et notre incapacité à expliquer) la valeur de ce rôle dans la dynamique d’équipe ou alors que ce rôle ne peut peut-être tout simplement pas exister dans certaines organisations.

La communauté agile en question

Un paradoxe de transmission

Un autre phénomène me frappe concernant l’évolution de la communauté agile : alors que le nombre de praticien(ne)s n’a jamais été aussi élevé ces dernières années (grâce aux certifications notamment), la contribution à la communauté n’a jamais été aussi faible proportionnellement.

Certes les évènements annuels agiles perdurent et quelques associations entretiennent la flamme dans leur ville (et bravo à elles). Ma génération de coachs agiles, formée auprès de figures emblématiques comme Véronique Messager, Thierry Cros, Jean-François Jagodzinski, Laurent Morisseau ou Claude Aubry (sans citer tous les anglophones) évoluait dans une culture de partage d’informations et d’expériences.

Aujourd’hui, malgré un nombre démultiplié de praticien(ne)s, les contributions significatives se raréfient et ne sont pas au niveau auquel nous sommes attendus. Nous restons donc sur nos acquis sans profiter de toute cette formidable expérience collective.

Enthousiasme ou arrogance ?

L’accès à l’information sur l’agilité opérationnelle n’a jamais été aussi facile : YouTube, articles de blog, podcasts, formations en ligne couvrent abondamment les aspects pratiques et opérationnels. Paradoxalement, cette accessibilité contribue aussi à une forme de stagnation : on reste sur des aspects superficiels sans approfondir suffisamment la compréhension des dynamiques de transformation.

Nous avons trop été sur une application mécanique de l’Agilité à grands coups de Scrum, de SAFe (et d’autres) et aujourd’hui ça se voit que c’est inadapté. Comment pouvions-nous penser qu’avec quelques frameworks, nous allions couvrir tous les cas de figure et toutes les organisations ? Avons-nous été aveuglés par notre enthousiasme ? ou sommes-nous arrogant(e)s ?

Passer la frontière de la tech : le défi de la vulgarisation

L’Agilité d’aujourd’hui doit s’adapter à des contextes radicalement différents de son berceau technique. Qu’il s’agisse d’équipes marketing dans l’assurance ou d’agronomes développant un nouveau business model, les besoins d’agilité existent mais nécessitent une véritable vulgarisation pour tous les publics. 

 

Le vocabulaire constitue un enjeu central de cette transformation. Les termes techniques comme “itération”, “démo”, “rétrospective” – si familiers dans le monde du développement – perdent leur sens ou créent des résistances dans d’autres contextes (et je ne parle pas des anglicismes comme Backlog ou Product Owner, etc.).

Pour certaines équipes, l’Agilité rime avec souplesse, flexibilité maximale voire fonctionnement en urgence. Cette compréhension ou attente, bien qu’éloignée de la définition originelle, révèle un besoin d’adaptation profonde de notre discours.

 

La sémantique actuelle de l’Agilité se disperse, créant une concurrence entre la documentation historique (où un Product Owner avait une définition très claire dans Scrum) et les conceptions individuelles, souvent empiriques, qui s’accommodent des contraintes de leur environnement. Cette dispersion, bien que problématique pour la cohérence globale, reflète aussi une forme d’adaptation naturelle aux différents contextes. L’Agilité est donc plastique, elle s’adapte au changement de contexte, au moins par les mots.

 

Pour réussir cette extension au-delà de la tech, il faudra donc “parler autrement”, tout en préservant l’essence de l’Agilité. Cela ne signifie pas abandonner les principes agiles, mais plutôt les reformuler d’une manière qui fait sens pour chaque population. Cette adaptation du langage est d’autant plus cruciale que la culture technique n’est pas aussi répandue qu’on pourrait le penser, même dans les organisations tech.

Un modèle économique en mutation

Pour continuer à faire notre métier dans ce contexte, le renouvellement de nos modèles économiques est devenu nécessaire. L’actualité montre qu’il va être compliqué pour une partie d’entre nous de vivre uniquement du coaching agile demain. Un modèle plus robuste et plus résilient est nécessaire pour permettre de maintenir une activité stable. Notre métier vit une crise, comme tant d’autres métiers avant nous, nous devons à notre tour incarner nos valeurs et nous adapter à ces changements.

Ce constat n’est pas un aveu d’échec, mais une adaptation nécessaire à la réalité du marché et fera de nous toutes et tous de vrais entrepreneur.e.s. La régulation actuelle, bien que douloureuse pour certain(e)s praticien(ne)s, était prévisible et malheureusement nécessaire. Elle pousse à envisager une remise en question salutaire des pratiques et de nos modèles d’intervention.

L'avenir du coaching agile : retour à l'écoute des besoins clients

Si le marché actuel du coaching agile est saturé, cela ne signifie pas qu’il n’y a plus d’opportunités. Les problèmes fondamentaux des équipes n’ont pas changé :

  • Difficultés d’interaction entre les personnes
  • Silos entre les services
  • Dépendances fortes entre développement et production
  • Expressions de besoins mal maîtrisées
  • Ambitions stratégiques en augmentation
  • Accélération des feuilles de route

Vers l'agilité d'entreprise

Le véritable enjeu n’est plus dans l’application mécanique de nos méthodes agiles, mais dans la capacité à accompagner les organisations vers une transformation plus profonde.

Une évolution majeure se dessine : le passage d’une Agilité d’équipe à une véritable Agilité d’entreprise. Cette transition nécessaire, que nous explorons dans nos travaux avec Laurent Morisseau, répond à un constat : l’Agilité n’a finalement pas été très connectée aux organisations dans leur ensemble.

L’Agilité est devenue une commodité, un moyen plutôt qu’une fin en soi, comparable à un outil comme Office 365. Elle ne fait plus rêver comme avant mais elle reste indispensable dans notre monde moderne. Il ne faut plus seulement parler d’itérations et de rituels, il faut aborder des sujets plus fondamentaux : stratégie, vision, performance globale, etc.

Toutes ces évolutions impliquent une approche différente du coaching agile. Il ne s’agit plus simplement d’accompagner des équipes dans leurs pratiques quotidiennes, mais aussi de comprendre et d’influencer les dynamiques organisationnelles plus larges. C’est un changement de perspective qui nécessite de nouvelles compétences pour nous coach agiles, une compréhension plus profonde des enjeux business et des autres services d’une organisation.

Perspectives d'avenir

Après des années de diffusion de ses valeurs et de ses principes, l’Agilité traverse ce qui ressemble plutôt à une crise d’adolescence, elle s’émancipe et c’est tant mieux. L’Agilité n’est pas morte (bien au contraire) mais les business models des consultant(e)s qui la portaient certainement.

L’Agilité a encore un futur. L’avenir appartiendra à celles et ceux qui sauront :

  • Adresser les besoins et peines de leurs clients (et accepter d’être pragmatique face au réel)
  • Avoir de l’impact dans les transformations à tous les niveaux (d’individuel à la stratégie d’entreprise)
  • Développer une expertise agile plus pointue (l’intelligence artificielle est déjà meilleure que nous sur bien des aspects)
  • Adapter leur approche, leurs attitudes et leur regard aux spécificités du contexte des organisations (un framework n’est pas la réponse à tous les maux)
  • Étoffer leur modèle d’intervention (de quelques heures à quelques mois) avec des modèles économiques associés
  • Témoigner de leurs succès avec l’Agilité (pour inverser le narratif actuel)
  • Diversifier leurs offres pour anticiper les prochains aléas de marché (et être dans l’Agilité stratégique)

Nos pratiques, nos discours, notre lecture des organisations, notre Agilité doit évoluer. Cette évolution passera par une reconnexion avec ses valeurs fondamentales bien entendu, tout en développant de nouvelles approches qui répondent aux défis organisationnels contemporains.

📢 Et vous, comment voyez-vous l’avenir de l’Agilité ?

Ce constat vous parle ? Vous observez les mêmes tendances ou avez un regard différent sur l’évolution du coaching agile ? J’aimerais vraiment échanger avec celles et ceux qui, comme moi, s’interrogent sur les mutations de notre métier et cherchent à s’adapter.

💬 Partagez votre avis en commentaire ou écrivez-moi directement à romain@supertilt.fr pour poursuivre la discussion.

🔹 Et si on échangeait en petit groupe ? Si le sujet vous intéresse, je serais ravi d’organiser un échange en visioconférence pour croiser nos expériences et réfléchir ensemble aux perspectives d’avenir.

Epilogue

Après l’écriture de cet article, j’ai interrogé Claude en lui demandant d’avoir un “esprit critique”.

Je vous partage ici ce qui me semble être des points pertinents pour creuser la réflexion.

Angles morts significatifs de l’article

  • Absence d’analyse du point de vue des équipes tech qui ont “subi” l’agilité
  • Pas de mention des succès de transformation agile (s’il y en a)
  • Peu d’exploration des alternatives aux modèles actuels
  • Manque de données chiffrées sur l’efficacité réelle des pratiques agiles

Questions critiques non abordées

  • L’agilité était-elle vraiment la réponse aux problèmes organisationnels ou juste une mode managériale ?
  • Les coachs agiles ont-ils créé un marché artificiel basé sur une demande qu’ils ont eux-mêmes stimulée ?
  • La “crise” actuelle n’est-elle pas simplement une normalisation d’un marché qui était anormalement gonflé ?
  • Les problèmes décrits sont-ils spécifiques à l’agilité ou communs à tout mouvement de transformation ?

Propositions alternatives

  • Et si la “mort” de l’agilité était en fait sa réussite – son intégration naturelle dans les pratiques courantes ?
  • Peut-être que la baisse des TJM reflète une maturité du marché plutôt qu’une crise ?
  • La diminution du besoin en coachs pourrait signifier que les organisations ont développé leur propre capacité d’adaptation
  • Le coaching agile devrait peut-être être une compétence parmi d’autres plutôt qu’un métier à part entière

Pistes d’approfondissement cruciales

  • Besoin d’études empiriques sur l’impact réel des transformations agiles
  • Nécessité d’explorer des modèles économiques alternatifs pour l’accompagnement
  • Importance de questionner les fondamentaux : l’agilité répond-elle vraiment aux besoins actuels ?
  • Pertinence d’une analyse comparative avec d’autres mouvements de transformation organisationnelle

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L'auteur

Romain Couturier

J’aide les équipes à mieux organiser leur travail pour gagner en fluidité et en efficacité au quotidien. Ce que j’aime le plus, c’est explorer les dynamiques de groupe et transmettre des outils qui rendent le travail plus clair et collaboratif. Si vous voulez en discuter ou découvrir mes partages, connectez-vous avec moi sur LinkedIn !

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