La gestion du temps individuelle et collective est une thématique qui me passionne depuis plusieurs années. Avec des équipes supports, des managers ou des équipes (agiles ou non) dans le secteur privé ET le secteur public, cette thématique a une résonnance de plus en plus forte au sein des organisations. J’y vois le signe (un de plus) d’une accélération générale et d’une certaine absence de connaissance dans la gestion de ces nouveaux contextes.
Dans cet article, je vous livre 7 bonnes pratiques pour redevenir serein dans votre environnement professionnel (voire personnel), y compris (et surtout) quand il change souvent. Car oui il est possible d’être à l’aise dans ces situations, encore faut-il savoir comment s’y prendre.
Laissez de côté votre agenda Outlook et suivez-moi 🙂
Sommaire
Lors d’un échange sur la gestion du temps chez un de mes clients, je présente ces 6 illustrations (du jeu Dixit) à l’équipe en leur posant la question suivante : quelle image représente le mieux votre gestion du temps et pourquoi ?
L’une des personnes présentes me répond alors : “La petite danseuse prisonnière de la glace. Parce que quand on est en production et qu’on est sur de la gestion d’incidents, on a du mal à sortir complètement de l’eau et même si on tente de prévoir des choses, de s’organiser en termes de gestion du temps, il y a toujours des urgences qui viennent tout mettre par terre.” Elle ajoute que sa journée démarre tôt le matin et que c’est à peu près le seul moment où elle arrive à gérer son agenda puisqu’ “à partir de 9h le marathon des réunions et des interruptions commence.”
Des imprévus, des interruptions, il y en a beaucoup au cours d’une journée de travail. Ils vont tous avoir pour conséquence de provoquer un changement de contexte. Combien de temps vous faudra-t-il pour vous reconcentrer sur la tâche que vous étiez en train de faire ?
Si vous vous sentez proche de l’histoire de ma cliente, voici 7 bonnes pratiques à tester pour sortir la tête de l’eau.
1. Commencer par terminer, arrêter de commencer
Lors d’une interruption, la plupart des gens vont avoir tendance à traiter la demande tout de suite. Ils commencent le travail sans avoir terminé le précédent. C’est assez logique, ils reçoivent une demande et ont envie d’y répondre favorablement. D’autant plus si la qualité de service fait partie de leur mission.
Si ce mécanisme devient une habitude, se multiplie et s’installe sur la durée, nous allons automatiquement arrêter de terminer (ou terminer très peu de travaux). Les délais de la plupart des tâches s’allongent dans des proportions parfois hallucinantes ! (qui n’a jamais eu une tâche de quelques heures s’étaler sur plusieurs jours, semaines voire mois).
Cette “hyper sollicitation”, et le fait de commencer une tâche en permanence, est un réel problème dans de nombreuses organisations. Tout cela les amènent à arrêter de terminer le travail au niveau individuel et au niveau collectif.
S’il y a bien une stratégie que je vous invite à adopter, c’est d’arrêter de commencer, commencer par terminer.
Comment tenir cette injonction alors que tout un tas de phénomènes viennent perturber notre lot de tâches quotidiennes ? Vous me direz que c’est bien joli tout ça mais que c’est impossible à mettre en pratique étant données les contraintes du terrain. Il est pourtant possible de faire différemment. Je vous recommande de lire les étapes qui suivent.
2. Lister toutes les interruptions
Faites la somme de tout ce qui va venir fractionner votre journée. Listez minutieusement toutes les interactions : observez une journée type et interrogez-vous sur ce qui vient perturber votre travail, c’est à dire vous interrompre et créer un changement de contexte.
Je distingue 3 types d’interruptions :
- les interruptions personnelles : celles que l’on se donne tout(e) seul(e) comme des grand(e)s. Peut-être avez-vous consulté votre téléphone pour telle ou telle raison ou juste parce que vous en aviez envie. Vous venez de créer un changement de contexte qui aura une conséquence plus ou moins importante pour vous reconcentrer sur la tâche sur laquelle vous étiez
- les interruptions internes : elles sont liées directement à l’organisation. Ce sont celles liées à votre équipe, votre service, votre département. En résumé, des sources d’interruption que je vais légitimer parce que je les attends. Ce sont des personnes relativement proches et là encore, il peut y en avoir beaucoup. Évidemment, on pense tout de suite aux mails, mais le déploiement d’outils comme Teams par exemple, ou tous les outils de messagerie instantanée, associés à tous les mécanismes de notifications, augmentent sensiblement le nombre d’interruptions
- Les interruptions externes : en fonction de votre poste, en fonction de ce que vous faites, vous allez évidemment avoir des sources d’interruptions externes : les personnes n’appartenant pas à votre organisation. Je fais références par exemple aux sollicitations des métiers auprès d’une équipe informatique, d’un prestataire pour son client, ou d’un client pour un service support. Ces gens-là attendent une qualité de service et s’autorise à vous interrompre … sans chercher à nuire
Si vous réalisez rigoureusement cet exercice, vous verrez le bénéfice immédiat : prendre du recul et visualiser l’étendu des dégâts ! C’est un exercice simple pour nous faire prendre conscience de toutes les forces qui nous empêchent de faire notre travail en continu. Les déconnexions à répétition intensifient la charge mentale de nombreuses personnes. Si en plus, elles ont lieu sur de nombreuses tâches, nous avons le cocktail explosif de la non-performance :
Beaucoup de tâches/projets + interruptions = sentiment de faible efficacité
3. Définir les urgences
Parmi toutes les interruptions listées, vous devriez arriver rapidement à la particularité des urgences. Qu’est-ce-qu’une urgence ? Quelle est sa définition partagée au sein de l’équipe ? Très souvent, quand je pose cette question, chacun a sa définition mais elle n’est pas forcément partagée par l’ensemble des acteurs. Pas étonnant alors que certains s’affolent là où d’autres restent zen ce qui créera des tensions entre les individus tôt ou tard.
À partir de cette définition partagée, vous pourrez facilement évaluer les tâches réellement urgentes parmi la somme de travail à réaliser.
Voici quelques pistes pour vous aider dans votre atelier de définition d’une urgence :
- La demande implique-t-elle un risque vital ? Si la réponse est oui, alors effectivement, la demande est une urgence 🙂
- La demande induit-elle un risque économique pour vous et vos partenaires ? Si la réponse est oui, alors ce sera vraisemblablement une bonne urgence
- La demande que vous recevez est-elle urgente car la personne qui vous le demande vous dit que c’est urgent ? Alors on appellera cela plutôt une “urgence d’ego” et ce ne sera pas une urgence. J’appelle ces urgences, les “urgences Dieu”. Ce sont les pires, soyons honnêtes. Elles imposent des interruptions illogiques au regard de la situation, juste pour satisfaire les désirs d’une personne ou d’un comité. Et en plus, il est souvent difficile de les refuser. C’est un piège classique de la plupart des organisations
Réserver le terme “urgence” à ce qui doit l’être est primordial, auquel cas l’exercice de priorisation sera nécessairement difficile à mener. Ce qui me permet de faire le lien avec le 4ème conseil !
4. Prioriser
Une technique de priorisation assez répandue est celle du critère de nécessité. Elle se traduit par le fait de trier les tâches importantes en P1 (Priorité 1) puis P2 (Priorité 2) pour les tâches secondaires et P3 (Priorité 3) pour les non urgentes.
Avec ce type de priorisation, une personne qui a connaissance de ce système comprend rapidement que si elle formule sa demande en P2 ou en P3, elle ne passera jamais en priorité et que les P1 seront toujours celles traitées avant. En toute logique, nous nous retrouvons alors avec un système où tout le monde exprime une demande en priorité 1. Ce qui, de fait, annule le système de priorisation car tout est en P1 (vous me suivez ?!?!).
Cette méthode de priorisation est valable quand on a peu de volumes de tâches ou projets à prioriser mais elle n’est pas tenable lorsque les demandes sont trop nombreuses.
L’enjeu de définir des critères de valeur, pas seulement de nécessité.
Lorsque le nombre de demandes est vraiment supérieur à la capacité à faire, il est nécessaire d’arbitrer et d’obtenir une seule priorité P1, une seule P2 et ainsi de suite. Pour cela, nous allons déterminer la valeur de la demande ou de la fonctionnalité, ou bien du projet (en fonction du type de tâches que vous avez à gérer).
Cette question de la valeur fait débat dans les organisations car elle est rarement outillée. À l’heure de l’écriture de cet article, nous en sommes encore à demander des planning sans forcément s’interroger si le travail demandé a de la valeur, et laquelle !
Si vous n’avez jamais établi un modèle de valeur au sein de votre équipe, cela va être l’occasion d’en faire un en vous posant tous ensemble la question : “Pourquoi est ce qu’une demande doit passer avant une autre ?” Vous pouvez utiliser une échelle allant de 1 à 10 pour établir des critères.
5. Dire non
Avec cet exercice de priorisation, certaines demandes se retrouvent obligatoirement un peu sur le carreau. On sait alors qu’on va devoir en refuser certaines. Vous vous dites peut-être qu’il vous est impossible de dire non mais quand on est sous l’eau, quand on n’a plus la capacité de répondre à un trop grand nombre de demandes, il me semble qu’on ne peut pas se soustraire à cet exercice.
(Chez certains de mes clients, cette question peut générer des réactions très vives qui témoignent de la charge émotionnelle attachée aux demandes. Dire non, c’est aussi prendre conscience de l’impact chez le demandeur)
Est-on obligé de traiter les demandes tout de suite maintenant ? Non, pas nécessairement, et surtout pas tout de suite. Nous sommes habitués à l’immédiateté, les autres ont aussi pris l’habitude à ce que leur demande soit traitée tout de suite, cela fait partie des habitudes à perdre. C’est l’un des aspects les plus difficiles.
Dire non, c’est aussi parfois admettre que la demande ne sera pas traitée. Cette pratique existe : on stocke une demande, elle termine toujours en bas de la liste et on finit par l’abandonner sans forcément le dire. Je me souviens d’une entreprise où les demandes dataient du tout début des années 2000, plus de 20 ans d’existence ! A contrario, dans une autre organisation, une personne m’explique que toutes les demandes supérieures à 6 mois sont automatiquement supprimées du système de tickets au support.
Pour autant je ne suis pas adepte du non radical, du non brutal. Dans ce contexte, on exprime plutôt un “non pas tout de suite”. Ce qui me permet de faire le lien avec le conseil n°6 !
6. Utiliser la C.N.V
L’important, c’est que le message soit correctement reçu. Pour cela, allons chercher les outils les plus puissants connus pour le moment comme les protocoles de Communication Non Violente (CNV).
Si vous ne connaissez pas la CNV, je vous renvoie à notre article La communication non-violente pour désamorcer les tensions et vers le formidable livre “Les mots sont des fenêtres (ou des murs)”, de Marshall Rosenberg, le père de la CNV.
Avec la Communication Non Violente, la façon dont nous structurons nos réponses et nos questions passe par 4 éléments :
- Citer les faits
- Partager et reconnaître les émotions qui sont associées à ce fait
- Ne pas hésiter à rappeler les besoins que l’on a ou que l’autre peut avoir
- Formuler une demande, faire une proposition
Imaginons que Dieu entre dans votre bureau et vous demande d’exécuter telle tâche urgemment. Vous n’avez vraiment pas le temps, vous devez refuser. Comme il s’agit de Dieu, vous allez y mettre les formes : “Écoutez Dieu, nous sommes à 3 jours de la livraison et nous avons déjà plein de tâches en cours. D’ailleurs, je peux vous montrer le tableau de suivi. Là, on a tout ça et voici nos priorités. Pour être honnête, en ce moment, c’est très tendu pour moi et toute l’équipe. Pour assurer la qualité, continuer de faire des tests, rédiger la documentation, nous avons besoin de calme et de sérénité. Je vous propose de traiter votre demande mais dans quelques jours, je reviendrai vers vous sans faute lorsque nous serons prêts.”
Dans cet exemple, l’histoire ne dit pas si Dieu est d’accord ou pas. En revanche, on a une communication dite “non violente” parce qu’on s’appuie sur des faits. Le refus est motivé par une situation réelle, des émotions que vous ressentez et que l’équipe vit aussi. Vos besoins sont réels et votre proposition démontre un esprit constructif.
C’est une communication qui est respectueuse et qui permet à votre interlocuteur de comprendre la motivation de votre refus. Et quand vous lui dites non, ce n’est pas juste “non” qui l’entend, c’est aussi les autres éléments et votre contexte.
7. Limiter le travail
Nous savons que tous les systèmes avec un goulet d’étranglement ont tendance à vouloir aller vite, à accélérer, à vouloir faire plus, car il est … lent justement ! Souvent l’accélération dans un système au bord de l’explosion induit de la non-qualité. Cette non-qualité revient tôt ou tard dans le système sous la forme d’une demande à traiter en urgence. C’est le serpent qui se mord la queue…
Ces traitements d’urgence occupent beaucoup de place sur une capacité déjà faible. Les personnes exprimant les demandes sont stressées de ne pas voir le projet avancer. Elles souhaitent alors plus de prévisions et de visibilité. Nous allons donc nous enfermer dans des exercices d’estimation dont nous savons pertinemment qu’ils donneront des résultats faux. Résultat des courses, nous avons une capacité strictement inférieure à ce que nous avions au départ alors que tout le monde ne cherche qu’une chose : faire mieux et améliorer les choses.
C’est tout le paradoxe de cette situation : lorsque nous avons un goulet d’étranglement, la meilleure stratégie à adopter, c’est de limiter le travail. Ce principe est bien connu et déjà expérimenté dans d’autres systèmes paralysés (exemple : les embouteillages), et bien d’autres systèmes qui ont des interruptions et des imprévus. Tous les systèmes qui ont beaucoup de demandes et une capacité inférieure doivent ralentir pour augmenter la vitesse moyenne d’exécution. Le paradoxe c’est d’arriver à concevoir et même à envisager qu’on est plus efficace individuellement et collectivement, à faire moins de choses à un instant T que d’essayer d’en démarrer de nouvelles.
Essayez d’expliquer ça à Dieu 🙂
Vous connaissez maintenant les bonnes pratiques de la gestion du temps. Je vous les rappelle pour conclure :
- Arrêter de commencer, commencer par terminer
- Lister les imprévus
- Définir les urgences
- Prioriser
- Dire non
- Exprimer le refus avec la Communication Non Violente (CNV)
- Limiter le travail lors d’un goulet d’étranglement
Je peux vous garantir qu’avec ça, il y a fort à parier que votre vie change et que vous gagnerez en sérénité !
Contactez-nous
Vous voulez améliorer votre gestion du temps individuellement et / ou en équipe. Ecrivez-nous et échangeons sur votre besoin.