Dans le monde des OKR (Objectifs et Résultats Clés), certains leviers stratégiques se distinguent par leur capacité à transformer profondément la culture et la performance d’une organisation. Récemment, l’un de mes clients m’a posé une question pertinente concernant trois concepts clés abordés dans le livre de John Doerr, “Measure What Matters” (Mesurer ce qui compte) :
- l’approche “Bottom-Up” (ascendante, pages 86-90)
- l'”Auto-évaluation” (pages 122-124)
- et le concept de “Shoot for Amazing” (viser l’extraordinaire : objectifs engagés vs. ambitieux, pages 133-135).
Ces trois dimensions des OKR sont souvent mal comprises ou sous-utilisées. Explorons comment les activer pleinement.
L'approche ascendante (Bottom-Up) : Équilibrer direction et autonomie
L’approche ascendante dans les OKR n’est pas une simple délégation d’objectifs, c’est une orchestration subtile entre orientation stratégique et mobilisation collective.
Dans un système OKR mature, on observe une coexistence harmonieuse entre deux flux :
- Les OKR descendants qui découlent directement de la stratégie (approche classique descendante ou “top-down”).
- Les OKR ascendants définis par les employés eux-mêmes.
Cette dualité n’est pas contradictoire ; elle est complémentaire. J’ai observé que les organisations qui réussissent leur transformation grâce aux OKR adoptent souvent une approche progressive :
- Commencer avec 80 % des OKR définis par la stratégie et 20 % par les employés, puis évoluer vers un équilibre 50/50 à mesure que la maturité augmente.
Cette transition graduelle facilite le maintien de l’alignement stratégique tout en développant progressivement l’engagement des employés. Elle doit être évaluée au cas par cas, car la préparation des organisations aux approches ascendantes varie considérablement.
La beauté de cette approche réside dans sa capacité à véritablement responsabiliser les équipes. Pour faciliter la transition, il est souvent judicieux de permettre d’abord aux employés de définir leurs propres Résultats Clés (comment ils vont contribuer) avant de les inviter à proposer des Objectifs complets. Cette étape intermédiaire est particulièrement efficace pour développer la responsabilisation et l’appropriation au sein des équipes.
Cette progression naturelle construit simultanément l’alignement et l’engagement, les deux piliers d’une exécution stratégique réussie. Avec le temps, à mesure que les employés se familiarisent avec la définition d’objectifs significatifs, l’organisation peut leur transférer davantage la responsabilité de la définition des objectifs, créant ainsi une culture OKR plus équilibrée et participative.
L'auto-évaluation : au-delà des simples scores
L’une des confusions les plus fréquentes concernant les OKR concerne l’évaluation. Beaucoup croient à tort qu’une forte progression des Résultats Clés équivaut automatiquement à une bonne performance.
La réalité est plus nuancée, et c’est là que l’auto-évaluation prend toute sa valeur. Lorsque nous évaluons nos OKR, nous ne mesurons pas simplement la progression, nous confrontons notre réalité à nos ambitions initiales.
Les OKR sont des outils de transformation, pas de simples indicateurs de performance.
Pendant la phase d’évaluation, nous examinons la réalité, et pas seulement le suivi des chiffres. Cette distinction signifie que la corrélation entre la progression des OKR et la performance réelle n’est ni directe ni automatique.
Une forte progression de vos KR (Résultats Clés) n’indique pas nécessairement une forte performance et, inversement, une progression modeste ne signale pas automatiquement une mauvaise performance.
Plusieurs facteurs influencent cette relation :
- Un objectif pouvait être extraordinairement ambitieux.
- Des facteurs externes peuvent avoir facilité ou entravé les progrès.
- Les apprentissages générés peuvent être précieux malgré la non-atteinte de la cible.
- L’objectif était peut-être trop facilement atteignable.
C’est pourquoi chez Google, ils encouragent à utiliser les OKR “comme un guide et non comme une note“, une phrase qui capture l’essence même de cette approche transformatrice.
L’auto-évaluation introduit une dimension qualitative : comprendre les écarts, identifier les obstacles, capitaliser sur les apprentissages et ajuster pour le cycle suivant. Cette approche transforme l’évaluation d’un simple exercice de notation en un levier d’amélioration continue et d’apprentissage organisationnel. La vraie valeur du processus réside dans cette réflexion.
Viser l'extraordinaire ("Shoot for Amazing") : distinguer l'engagé de l'ambitieux
Le troisième levier puissant des OKR repose sur une distinction fondamentale entre deux types d’objectifs :
1. OKR engagés : audacieux mais réalisables avec un haut degré de certitude. On s’attend à une réalisation à 100 %, et l’analyse des risques révèle peu d’incertitude. Ils représentent ce que l’organisation “doit” accomplir, et un échec serait problématique et nécessiterait une intervention.
2. OKR ambitieux (ou “Méga objectifs”, “Aspirational OKRs”) : conçus pour repousser les limites du possible, pour inspirer le rêve et orienter vers un futur souhaitable. Lorsque ces objectifs sont présentés aux équipes, elles ne voient souvent pas immédiatement comment les atteindre. C’est intentionnel, ces objectifs créent une contrainte qui force l’innovation. Une réalisation de seulement 40 à 70 % (peut-être jusqu’à 70 %) est déjà considérée comme un succès, et nombre de ces objectifs ambitieux ne seront pas pleinement atteints.
Pour un Comité de Direction, cette distinction est stratégiquement précieuse. Elle permet de poursuivre simultanément l’excellence opérationnelle (via les OKR engagés) et la transformation profonde (via les OKR ambitieux). Cela signifie définir la nature de certains objectifs dès le départ, et par conséquent ajuster le niveau de lecture et les attentes en fonction de leur progression.
Le secret réside dans l’équilibre et la clarté : identifier explicitement la nature de chaque OKR dès sa création et ajuster les attentes en conséquence.
Cette approche envoie également un message culturel : l’organisation valorise à la fois la fiabilité dans l’exécution et l’audace dans l’innovation. Elle accepte l’échec partiel comme source d’apprentissage lorsqu’on vise l’extraordinaire. Surtout, ce portefeuille équilibré crée un environnement où la sécurité (pour ce qui est essentiel) et l’audace (pour ce qui est transformationnel) peuvent coexister.
L'effet combinatoire des trois leviers
Ce qui rend ces trois leviers particulièrement intéressants, c’est leur effet combinatoire.
Imaginez une organisation où :
- Les équipes participent activement à la définition de leurs objectifs (Approche ascendante).
- L’évaluation est vue comme une opportunité d’apprentissage plutôt qu’un simple jugement (Auto-évaluation).
- Différents types d’objectifs coexistent, de l’opérationnel fiable à l’ambition transformatrice (Engagés vs. Ambitieux).
Cette organisation crée un environnement où l’engagement, l’apprentissage et l’ambition se renforcent mutuellement, la fondation idéale pour une transformation durable grâce aux OKR.
Ces trois dimensions fonctionnent en synergie :
- les équipes définissent leurs objectifs ambitieux (approche ascendante),
- auto-évaluent honnêtement leurs progrès (auto-évaluation),
- et distinguent clairement ce qui doit être atteint de ce qui représente une haute ambition (engagés vs. ambitieux).
Cette approche intégrée crée un puissant changement culturel vers la responsabilisation et l’innovation.
Si vous cherchez à amplifier l’impact de votre système OKR, commencez par évaluer votre utilisation actuelle de ces trois leviers.
Sont-ils pleinement activés ? Y a-t-il un déséquilibre ? Y a-t-il suffisamment de clarté pour tous les acteurs impliqués ?
Maîtriser ces trois dimensions peut transformer votre approche OKR d’un simple outil de gestion en un véritable moteur de transformation culturelle et stratégique. La beauté ne réside pas seulement dans la mise en œuvre individuelle de chaque levier, mais dans la manière dont ils se complètent et se renforcent mutuellement pour créer un système véritablement transformateur.