L’Agilité est morte ? Amour, déception et renaissance

Depuis 2007, je me passionne pour l’Agilité et j’ai eu l’occasion de l’expérimenter sous diverses formes et dans différents contextes clients avec des résultats souvent positifs pour les équipes et les organisations.

Si vous m’aviez dit, il y a quelques années, que je me retrouverais à débattre de la “mort” de l’Agilité, j’aurais ri. Pourtant, malgré son adoption croissante, l’Agilité fait l’objet de critiques (au moins en France), notamment de la part des populations techniques, produits ou d’accompagnement. 

J’ai été témoin de l’évolution de l’Agilité, de son acceptation, et désormais parfois de son rejet catégorique. Le récit que “l’Agilité est morte” circule dans les écosystèmes professionnels, suscitant débats et réflexions. Mais pourquoi et surtout, est-ce vraiment le cas ?

Les premiers signes d'orage

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Ma rencontre avec l’Agilité, comme pour beaucoup d’entre nous, a été une révélation. Les principes du Manifeste Agile résonnaient comme une promesse de libération des carcans du développement logiciel traditionnel, et en ce qui me concerne une nouvelle approche managériale pour mes équipes. 

Peu de temps après, en 2011, une première voix, celle de Sébastien Douche, commençait à murmurer sur son blog : “L’Agilité est morte”. À l’époque ces critiques contrastaient avec ma perception d’une Agilité en plein essor. Les communautés se multipliaient, les Agile Tours rassemblaient de plus en plus d’adeptes. En France, le tournant a lieu en 2018 avec une massification de l’Agilité dans les organisations de toutes tailles (de petites à énormes), publiques ou privées. Où était donc ce déclin dont on parlait ?

Les critiques prennent racine

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Puis le temps passant, le sujet devient brûlant, divise, interpelle et suscite de nombreuses réactions, passons en revue les plus remarquables à mon sens :

Au début (entre 2009 et 2017), les événements et communautés liés à l’Agilité étaient caractérisés par une mixité de profils. Aujourd’hui, on retrouve moins les populations techniques, qui ont leurs propres événements. Cette situation peut être perçue comme un échec, car l’Agilité vise à créer des équipes pluridisciplinaires et à favoriser la collaboration entre les différentes compétences.

Le nombre de praticien(ne)s ayant explosé à une vitesse étonnante, les exemples de mauvaises implémentations / mises en oeuvre agiles se multiplient inévitablement. Beaucoup de développeurs(euses) ont été confronté(e)s à des implémentations d’Agilité qui privilégient les processus et les outils aux individus et à leurs interactions. Ils se sont retrouvés complètement déshumanisés et surtout dépossédés de leur autonomie, de leur prise de décision, ce qui est complètement contradictoire avec les valeurs et principes fondamentaux de l’Agilité. Et ça, c’est réel, il y a des retours d’expériences concrets. 

Un autre critique concerne la “sur-processisation” à l’extrême et la bureaucratie qui semblent parfois s’emparer de l’Agilité. Évidemment, tout cela génère des déceptions.

Les équipes (pas toutes bien entendu) ont vu l’Agilité se transformer en une série de rituels vides de sens, loin de l’esprit d’amélioration continue et de collaboration qu’elle prônait. Aujourd’hui nous avons une Agilité qui parle peut-être plus à des consultants ou des personnes qui vont s’intéresser au produit et qui a peut-être oublié la technique ou qui considère que c’est acquis.

Certaines pratiques agiles, notamment celles associées à la ludopédagogie, ont été critiquées pour leur manque de sérieux apparent. Bien que l’utilisation du jeu dans la facilitation de réunions et d’ateliers soit efficace, on peut reconnaître que ces approches ne résonnent pas immédiatement chez tout le monde et peuvent même contribuer à une perception de l’Agilité comme une démarche moins sérieuse ou professionnelle dans certains contextes. Les approches pédagogiques de rupture doivent être utilisées avec une grande vigilance avec les publics visés par ces expériences.

Un autre point de friction réside dans l’écart entre les bénéfices vantés de l’Agilité et les réalités observées sur le terrain. Les promesses d’amélioration de la productivité et de la satisfaction au travail ne se concrétisent pas toujours comme prévu, menant à un sentiment d’usure et de scepticisme. Cette usure est exacerbée par le temps, surtout lorsque les avantages tangibles tardent à se manifester. Il me semble que le seul véritable indicateur de l’Agilité est le bien-être des équipiers. Il est toujours meilleur lorsque je quitte une mission. Je ne suis pas certain que ce soit le seul livrable attendu.

Par le travail sur les interactions, l’Agilité devait être un moyen d’améliorer les processus, pas une fin en soi. Or, la fascination pour les outils et les méthodologies semble parfois prendre le dessus sur l’objectif ultime : créer de la valeur, du bien-être et de la performance, les 3 en même temps. Les critiques soulignent le caractère dogmatique de l’Agilité, où le respect scrupuleux des rituels agiles prime sur l’adaptabilité et l’innovation. Une Agilité qui ne serait donc pas si agile que ça.

L’essor des ESN dans l’écosystème de l’Agilité a marqué un tournant, à la fois en termes d’opportunités et de défis. Au début elles regardaient l’Agilité avec une forme de dédain. Je l’affirme d’autant plus que j’étais moi-même salarié dans une ENS à l’époque (entre 2008 et 2011), avant de créer SuperTilt. Puis à un moment, il y a eu un changement de regard. Peut-être que les appels d’offres publics ont commencé à changer la donne et on a vu des sociétés de services, des cabinets de conseil commencer à répondre en agile.

Ces entreprises, initialement sceptiques quant à l’Agilité, ont rapidement saisi son potentiel commercial, entraînant une prolifération de consultants se réclamant agiles. Cette évolution a inévitablement conduit à une dilution de l’essence même de l’Agilité, transformant certaines pratiques en simples formalités dépourvues de leur substance originelle.

La massification du marché de l’Agilité par les ESN a conduit à une hétérogénéité de la qualité des pratiques agiles. D’un côté, cela a permis une diffusion plus large des principes agiles ; de l’autre, cela a suscité des interrogations sur la profondeur et l’authenticité de ces pratiques. Le défi réside dans la capacité à maintenir un niveau d’excellence et de fidélité aux principes agiles avec cette expansion.

Parallèlement, le paysage de l’Agilité a été marqué par une augmentation significative des offres de certification. Si cette tendance a contribué à professionnaliser le domaine, elle a également soulevé des questions sur leur valeur réelle. Elles garantissent une certaine connaissance théorique mais ne peuvent attester de la capacité à mettre en pratique les principes agiles de manière efficace et adaptée en situation réelle.

Le développement des certifications appelle à une réévaluation de ce que signifie être agile dans le contexte actuel. L’Agilité doit-elle être synonyme d’adhésion à un ensemble de pratiques certifiées, ou doit-elle plutôt incarner une approche profondément enracinée dans l’adaptabilité, la collaboration et l’amélioration continue ?

L'Agilité se transforme

L'Agilité n’est plus monolithique (depuis longtemps)

L’adaptation des pratiques, méthodes ou autres framework agiles aux contextes spécifiques des équipes est devenue la norme, non l’exception. Cette flexibilité, bien que source de richesse, soulève des questions quant à la cohérence et l’intégrité de l’approche agile retenue. Début des années 2000, les approches retenues se limitaient à eXtreme Programming avant que Scrum domine le marché. Sans surprise, l’Agilité a souvent rimé avec Scrum avec une distinction difficile à établir pour les débutants.

Une seule solution méthodologique ne pouvant évidemment pas adresser tous les contextes d’équipe et produit, il est devenu évident que les équipes ont adapté l’Agilité à leur contexte spécifique, créant ainsi une multitude de “versions” d’Agilité. Cette personnalisation, bien que bénéfique, entraîne une fragmentation de l’approche initiale (celle décrite dans le Manifeste Agile). 

La question demeure : l’Agilité, dans sa quête d’adaptation, risque-t-elle de perdre son essence ? Comment maintenir une cohérence dans les principes agiles tout en permettant une telle diversité d’approches ? La réponse réside peut-être dans la reconnaissance que l’Agilité n’est pas un dogme, mais un guide vers une meilleure façon de travailler, un cadre au sein duquel l’expérimentation et l’ajustement sont non seulement permis, mais encouragés.

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L’Agilité est à un tournant

Aujourd’hui, nous sommes témoins de l’émergence d’une nouvelle ère où l’Agilité ne se limite plus à des équipes de développement logiciel ou produit mais pénètre toutes les strates de l’organisation : RH, marketing, commerce, support, direction, comptabilité, management … et dans tous les domaines : santé, industrie, assurance, politique… Cette extension de l’Agilité au-delà de ses frontières traditionnelles est à la fois une preuve de sa vitalité et un défi à son intégrité.

Il est tentant de voir cette évolution comme une dilution de l’Agilité, une perte de son essence. Pourtant, je choisis de la voir comme une opportunité. Une opportunité d’enrichir l’Agilité avec de nouvelles perspectives, de nouveaux défis, de la rendre encore plus pertinente et efficace dans un monde qui ne cesse de changer.

La conclusion vers laquelle je tends est que l’Agilité est loin d’être morte, mais elle demande à être réinterrogée, réinventée. Nous ne devons pas craindre de remettre en cause les dogmes établis. Les succès du passé ont permis de créer le moment que nous vivons. À nous d’explorer de nouvelles pratiques, et plutôt que de nous lamenter sur une prétendue perte de l’Agilité “pure”, nous devrions guider sa transformation.

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