Quand l’espace devient un frein (ou un allié) en formation

Il y a quelques semaines, Laure Périnel m’a écrit après avoir lu l’un de mes posts sur les réseaux sociaux. J’y racontais une matinée compliquée dans une très belle salle… mais totalement inadaptée à un travail d’intelligence collective. Le sujet l’a interpellée, et elle m’a proposé d’en parler dans son podcast Dans les coulisses.

J’ai accepté avec plaisir, parce que cette question des espaces de formation me poursuit depuis des années. Chaque fois que j’entre quelque part pour animer un atelier, la première chose que je fais, c’est prendre une photo. C’est devenu un réflexe, presque un diagnostic instantané de ce que je vais pouvoir faire… ou pas. Voici ce que je retiens de notre échange  et ce que je voulais partager ici avec vous. L’épisode du podcast est disponible ici 

Pourquoi je parle de “sédentarité” dans les espaces de formation

Quand j’utilise ce mot, je ne parle pas de santé physique, mais d’un phénomène beaucoup plus subtil : quand l’espace fige, les idées se figent aussi. Dans la plupart des entreprises, on continue d’aménager les salles comme si la seule chose importante était de regarder quelque chose : un écran, une slide, un.e intervenant.e.

Justement l’intelligence collective repose sur l’alternance : du grand groupe, du petit groupe, du mouvement, des échanges à plusieurs niveaux d’énergie. Ça peut paraître évident mais très peu de salles permettent réellement de bouger. Au fil des années, j’ai identifié trois paramètres qui, pour moi, transforment complètement l’expérience d’une formation ou d’un atelier :

  • La disposition de la salle
  • Le matériel (notamment numérique)
  • Les supports muraux

1. La disposition : le premier révélateur

J’ai animé des dizaines d’ateliers dans des salles magnifiques… mais impossibles à utiliser. Je pense à cette fameuse salle design, très “magazine déco”, avec de beaux canapés et des tables massives, sans roulettes, évidemment. J’avais quinze personnes, des travaux en sous-groupes, de la dynamique, du mouvement. Impossible. Aucune place pour circuler. Aucun espace neutre. Une disposition en longueur qui enfermait tout le monde dans un face-à-face permanent.

Je retrouve souvent ce même schéma :

  • salles en U avec une table centrale gigantesque
  • tables vissées entre elles
  • mobilier trop lourd
  • et aucune place pour se mettre en petits groupes

Ce n’est pas qu’une question de confort : c’est un frein direct à la collaboration. Quand l’espace impose l’immobilité, le cerveau fait pareil.

2. Le matériel numérique : très présent, trop peu utilisé

On a remplacé les vidéoprojecteurs vieillissants par d’immenses écrans tactiles. Sur le papier, c’est formidable. Dans les faits on les utilise exactement comme avant. Les fonctions tactiles ? Quasiment jamais utilisées. La compatibilité ? Très variable (pour ma part, en iPad, je suis souvent hors-jeu). Le sans-fil ? Pratique, tant qu’on n’a pas un matériel qui ne s’y connecte pas. L’outil devient un point fixe : on tourne les chaises vers l’écran, on projette, on regarde. Et c’est tout. J’ai ce paradoxe régulièrement : on investit dans un matériel impressionnant, mais très peu dans les pratiques qui vont avec. On modernise la salle, mais pas la façon de travailler.

3. Les murs : nos plus grandes surfaces de collaboration… inutilisables

C’est sûrement le point qui me frustre le plus. Les idées ont besoin d’espace. Les murs sont parfaits pour ça : affichage du programme, synthèses visibles toute la journée, travaux de groupes, mémorisation, circulation… Mais souvent, je me retrouve face à :

  • des murs texturés,
  • des papiers peints décoratifs,
  • des surfaces sur lesquelles rien ne colle,
  • des interdictions de scotch,
  • ou aucune zone neutre pour afficher quoi que ce soit.

Alors on coupe des feuilles de paperboard, on scotche tant bien que mal, on fait au mieux… mais on perd une ressource incroyable. Et pourtant, à chaque pause, il y a toujours quelqu’un qui revient lire ce qui est affiché. Ce moment-là vaut tout l’investissement du monde : c’est un signe d’appropriation.

Ce que je demande systématiquement avant une intervention

Avec le temps, j’ai fini par envoyer une liste précise pour éviter les mauvaises surprises. Elle fait parfois sourire, mais elle m’a sorti d’un nombre incalculable de situations.

Je demande notamment :

  • un paperboard avec recharge,
  • des murs libres,
  • des tables mobiles,
  • de la place pour circuler,
  • une table pour poser mon matériel,
  • et une salle dimensionnée pour les participants… et pour moi (oui, on m’a déjà oublié).
  • J’ajoute aussi un buffet d’accueil “énergie”: fruits secs, eau, quelques options saines. Je sais que les gens préfèrent les croissants, ce n’est pas pour faire original mais les pics de sucre en début de matinée ruinent l’attention dès la première heure.

Cette liste n’est pas une exigence, je préfère la voir comme une manière d’anticiper, parce que tout ce qui manque le matin à 8 h finit toujours par perturber la qualité de la séance.

Un exemple récent : transformer un U en îlots en 15 minutes

L’un des derniers ateliers que j’ai animés illustre bien le sujet. Hôtel très soigné, déco superbe… Et une salle en U, tables épaisses, angles vissés, écran gigantesque. En un quart d’heure, avec l’équipe de l’hôtel, on a :

  • retiré la moitié du mobilier
  • éclaté le U
  • installé trois îlots
  • et placé un paperboard devant l’écran inutile

Les participant.es l’ont ressenti immédiatement : meilleure circulation, plus d’interactions, plus de rythme. Et surtout, une attention mieux répartie. Pas concentrée sur un écran, mais sur les échanges autour de la table.

Ce qui se joue vraiment derrière ces ajustements

L’enjeu n’est pas de faire “beau”. Ni même de faire “différent”. L’enjeu est de mettre les outils en face des besoins. Or on demande souvent aux équipes :

  • d’être plus collaboratives
  • plus créatives
  • plus responsables
  • plus efficaces,
  • … sans adapter les espaces qui devraient soutenir ces pratiques.

Je trouve ça curieux : dans n’importe quelle démarche orientée utilisateur, on commence par la question du besoin. Mais pour les salles de réunion, personne ne la pose. On continue d’appeler ça “une salle de réunion”, alors qu’une fois réunis, on n’a encore rien fait.

En creusant ce sujet avec Laure dans le podcast, je réalise une fois de plus que l’espace dans lequel on travaille est rarement neutre. Il soutient, ou il freine. Et souvent, il freine sans qu’on s’en rende compte, simplement parce qu’on a pris l’habitude de faire “comme d’habitude”. Si cet article peut, ne serait-ce qu’une fois, vous faire regarder une salle avec un œil neuf et ajuster un petit détail pour favoriser la dynamique du groupe, alors j’aurai atteint mon objectif.

L'auteur

Romain Couturier

J’aide les équipes à mieux organiser leur travail pour gagner en fluidité et en efficacité au quotidien. Ce que j’aime le plus, c’est explorer les dynamiques de groupe et transmettre des outils qui rendent le travail plus clair et collaboratif. Si vous voulez en discuter ou découvrir mes partages, connectez-vous avec moi sur LinkedIn !

Plus d'articles

Panier
Retour en haut