Rétrospective : de quoi parle-t-on ?
Dans une des méthodes agiles, Scrum, on fonctionne en itérations qui se terminent toujours par une rétrospective, un temps collectif d’amélioration continue. C’est le moment pour l’équipe de prendre de la hauteur sur son travail. On va chercher à faire le bilan de ce qui s’est passé pendant l’itération pour améliorer son fonctionnement.
Ce temps collectif se retrouve aujourd’hui dans des organisations qui ne sont pas spécifiquement en Scrum, ou d’ailleurs pas spécifiquement agiles, mais qui parlent d’amélioration continue. Cette notion est d’ailleurs déjà connue dans toutes les bonnes méthodes. Je vous recommande les travaux majeurs de W. Edwards Deming pour le management dans l’industrie des années 50. Si vous voulez creuser ce sujet, cherchez les boucles PDCA. L’amélioration continue est une recherche permanente et porte aussi bien sur les procédés techniques que les aspects humains.
L’objectif de la rétrospective
La rétrospective vise à avoir un impact pour monter d’un cran dans le fonctionnement de l’équipe. Une erreur classique est de chercher à faire la révolution, d’adresser des grands sujets qui relèvent parfois du rêve. L’objectif d’une rétrospective est de fluidifier l’organisation des personnes présentes, pas à pas. Il sera atteint si, et seulement si, l’équipe se sent en capacité de mettre en œuvre ce qui a été décidé. Elle doit avoir la sensation soit qu’elle va faire un petit pas en avant, soit qu’elle va franchir un cap.
Les formats de rétrospectives
Je recommande la plateforme RETROMAT pour générer aléatoirement des formats de rétrospectives. Pas sûr que ce soit toujours adapté à ce que vous cherchez mais c’est un bon point de départ si vous cherchez de l’inspiration.
Autre possibilité avant d’aller chercher des fantaisies : avez-vous (re)testé les classiques ? L’idée est toujours identique, on tire collectivement des conclusions et des actions à partir des questions posées :
- Le bilan positif et négatif d’une période : qu’est s’est-il bien passé ou que s’est-il mal passé ?
- Keep Start Drop : qu’est ce qu’on veut garder dans nos pratiques collectives, qu’est ce qu’il faut démarrer et qu’est ce qu’on veut abandonner ?
- Mad, Sad, Glad : on initie la rétrospective autour des émotions, qu’est-ce qui vous a mis en colère, rendu triste et heureux ?
- Etoile de mer : en plus d’être visuelle, c’est une évolution de Keep Start Drop avec en plus que faut-il faire un peu plus ? Que faut-il faire un peu moins ?
- Daki (Drop, Add, Keep, Improve) : que faut-il jeter, ajouter, garder ou améliorer ? Une autre variante de Keep Start Drop
- 4L (Learned, Liked, Lacked, Longed for) : qu’ai-je appris ? Aimé ? Que m’a-t-il manqué ? Qu’est-ce qui était tant attendu/désiré ?
- Speedboat : faut-il encore le présenter ? 🙂 LA CÉLÈBRE métaphore du bateau (l’équipe) qui part d’un quai (la situation actuelle) et qui se dirige vers une île merveilleuse (son objectif). Pour y parvenir, elle sera empêchée par des ancres (les freins) et pourra être entraînée par des cerfs-volants (les accélérateurs)
Ces formats sont des guides qui aident le facilitateur ou la facilitatrice de la rétrospective. Il conviendra évidemment de choisir le format adapté à l’équipe, son contexte et ses envies.
Qui convier à ces séances d’amélioration continue collective ?
Les réponses à cette question sont multiples et vont varier en fonction de votre ambition. Prenons la situation simple d’une équipe qui fonctionne en itération (agile ou pas d’ailleurs). Toutes les personnes qui ont participé et contribué à l’itération seront invitées.
Si vous êtes plutôt dans une démarche en flux, vous aurez intérêt à inviter un maximum d’acteurs.
Dans tous les cas, vous arriverez vite à la conclusion que la rétrospective n’est surtout pas réservée aux informaticiens. D’ailleurs, plus une rétrospective accueille une mixité de profils, plus les conversations et les résultats sont riches.
Voici quelques questions à vous poser pour inviter les bonnes personnes :
- Qui est concerné par l’amélioration continue du sujet ?
- Qui contribue à faire ce que nous faisons ?
- Les personnes présentes seront-elles libres d’explorer les pistes de ce qui est bon pour elles ?
- Les personnes présentes forment-elles une équipe ?
- La rétrospective est-elle un exercice considéré par les participants ? Ou est-elle devenue une routine qui a perdu de son sens avec le temps ?
- Le temps sera-t-il suffisant ? Il parait difficile de faire des rétrospectives de moins d’une heure pour une équipe de 4 à 5 personnes
- Les participants ont-ils compris l’intérêt de la rétrospective ?
- Tous les invités seront-ils présents ?
- Si le/la chef/fe est présent(e), quelle va être sa place (ou son rôle) dans ce temps d’amélioration de l’équipe (dans beaucoup d’organisations, le/la chef/fe ne fait pas partie de l’équipe)
- Les personnes invitées ont-elles produit quelque chose en rapport avec l’objectif d’amélioration ?
- Avons-nous invité une personne qui ne veut pas participer à la rétrospective ?
En répondant correctement à chacun de ces questions, vous augmentez les probabilités d’avoir une rétrospective de bonne qualité.
5 étapes pour mener une rétrospective
L’ouvrage de référence « Agile Retrospective, making good teams great » (Esther Derby, Diana Larsen), documente les 5 étapes à avoir en tête et propose une structure claire et posée pour mener les discussions :
- Ouverture : ça parait tout bête mais on prend le temps de l’introduction, du rappel des précédentes actions et de tout ce qui va permettre de poser un cadre propice à ce moment génial de rétrospective
- Collecte des informations : quels sont les éléments factuels que tout le monde doit avoir en tête ? Une étape essentielle avant de se jeter dans l’arène de la recherche de solutions
- Investigation : les discussions profondes sont conduites sur les points que l’équipe a identifiés précédemment
- Actions : l’équipe liste la ou les actions concrètes à mener dans la période qui va suivre. Cette étape est souvent l’occasion de clarifier les pistes de l’étape précédente. Une action est par définition actionnable sur la prochaine période. Si ce n’est pas le cas, l’équipe est sans doute à un niveau de solution trop haut qui relève du projet, de la simple intention ou du rêve
- Clôture : en miroir de l’ouverture, l’équipe se donne le temps de bien clôturer les conversations qu’elle vient d’avoir et s’assure que tout le monde sait ce que va se passer après
Exemple de répartition du temps
Pour une rétrospective d'1h
- Ouverture (5 min)
- On prend un temps pour se féliciter de tout ce qu’on a pu faire collectivement. C’est un temps précieux pour mettre l’accent sur du positif
- On définit les règles des conversations à venir par exemple : « Indépendamment de ce que nous découvrons, nous comprenons et nous croyons sincèrement que chacun a fait du mieux qu’il pouvait, compte tenu de ce qu’il savait à l’époque, de ses compétences et de ses prérogatives, des ressources disponibles et de la situation du moment. » (Citation, source : Norman Kerth, Project Retrospectives, a handbook for team review). Cette phrase porte toute l’essence de la rétrospective. On n’est pas dans une recherche de cause mais de compréhension et d’une collaboration vertueuse. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne se dira pas des choses désagréables
- Si besoin on ajoute un autre protocole : la CNV (Communication Non Violente, Marshal Rosenberg) peut aussi être un bon outil à rappeler à cette étape pour éviter d’avoir des paroles de type “on est à la bourre à cause de Pierpoljak”
- Collecte des informations (10 min) :
- On revoit les actions de la précédente rétrospective pour assurer un suivi
- On collecte tous les indices ayant impacté le fonctionnement de l’équipe sur la période écoulée comme par exemple : des événements, des problèmes particuliers, congés ou nouveautés ayant jalonnés la période. Cette phase peut être plus ou moins longue en fonction de ce que vous avez à observer. Ici on cherche à limiter les biais et activer la mémoire collective partagée
- On regarde les métriques de l’équipe (quand elles existent)
- Investigation (20 min) : étape importante car souvent les équipes sautent sur la recherche de solutions. Documentez la conversation au fil de l’eau (facilitation graphique, post-it, ou simplement un paperboard) pour garder la mémoire intégrale de ce qui va être dit. Une piste à explorer : https://www.allankelly.net/dialogue-sheets/
- Actions (20 min) : c’est souvent plus pratique que ce soit le reste du monde qui bouge ou se mette à notre disposition. Ici ceux qui vont actionner sont ceux qui participent à la rétrospective. Actionner veut dire « Que pouvons-nous faire pour nous changer nous-mêmes ? ». C’est chercher des petits pas. Si vous décidez des actions pour les autres, il faut aller les voir pour leur soumettre le projet, sinon il n’y a aucune raison qu’ils changent parce que votre équipe l’a décidé. Une action doit être suffisamment petite pour être menée et terminée d’ici à la prochaine rétrospective. Si ce n’est pas le cas, continuer à découper votre action en plus petits morceaux
- Clôture (5 à 10min)
- Chacun remercie l’équipe avec un mot simple
- Si vous vous sentez à l’aise, faites le tour des émotions de l’équipe
- Ajoutez les actions à mener dans le tableau de l’équipe
- Enfin terminez avec la question : ai-je le sentiment d’agir ? (en espérant que la réponse soit oui sinon la rétrospective sera à améliorer la prochaine fois)
Imaginez votre prochaine rétrospective
C’est à vous ! Préparez votre prochaine rétrospective en notant vos réponses aux questions suivantes :
- Quel est l’objectif de votre rétrospective ? : Améliorer le fonctionnement de l’équipe, le produit ou les 2 ?
- Qui est le public à inviter ?
- Quelle durée est la plus adaptée ? Prévoir au moins 10/15 minutes de temps de parole par personne si vous discutez en un seul groupe. Pour vous aider, voici quelques repères :
- 2 à 4 personnes = 1h
- 4 à 8 personnes = 2h
- 8 à 12 personnes = une demi-journée
- De quels outils allez-vous avoir besoin ? Serez-vous en présentiel, en distanciel ou les 2 ?
Rétrospectiveur.se, voici désormais votre mission
Une rétrospective s’anime, se facilite. En plus de bien préparer le cadre, vous allez développer votre posture :
- Mettre à l’aise
- Cadrer, encadrer le dialogue, pas les personnes
- Inviter, donner envie
- Donner le sens de la rétrospective
- Garder le rythme
- Focalisersur les relations entre les personnes, pas sur le fond des conversations
Ces compétences relèvent davantage des savoir être, des ingrédients essentiels pour de belles rétrospectives.
Stop à la monotonie
Si, comme des milliers d’équipes, la vôtre s’embourbe dans la monotonie et que vous tournez en rond, la solution n’est certainement pas d’arrêter les rétrospectives. Essayez plutôt de :
- Faire une rétrospective de vos rétrospectives
- Elargir le cercle des invités
- Faire appel à un autre animateur pour aborder les choses d’une autre manière
- Réduire la fréquence : pour une équipe qui interagit quotidiennement la bonne fréquence de rétrospective est souvent toutes les 2 ou 3 semaines. Au-delà d’un mois, c’est trop, la phase de collecte des événements devient trop difficile et la mémoire collective est souvent incomplète
- Varier les formats